"La plupart des équipes n’arrivent pas à comprendre que les problèmes de relations, d’incompatibilités interpersonnelles ou de conflits de personnes sont un de leurs principaux facteurs d’inefficacité."
Alain Cardon, écrivain et coach systémique
CODIR. Comité de direction. Equipe de direction. Equipe projet. La majeure partie d'entre nous conviendrait que ces mots, issus du monde professionnel aseptisé, ne nous évoquent pas en premier lieu le lien humain, le plaisir et l'authenticité. Et pourtant, il s'agit de conditions essentielles pour libérer les talents, la créativité et l’efficacité.
Nous n'entendons pas souvent dire : "J'ai hâte d’aller au CODIR à 15h, ces réunions font vraiment sens pour moi. Dans ces réunions, je peux m'exprimer, je suis aligné, pleinement moi-même."
En France, pour encore beaucoup d'entre nous, la performance va avec le rapport sacrificiel à l'entreprise. Aujourd'hui, nous sommes encore beaucoup de dirigeants à penser que l'authenticité et l'émotion n'ont pas leur place dans les relations professionnelles. Et cela vient d'un principe encore très ancré dans notre culture : les hommes et les femmes doivent être tous pareils, uniformes, l'expression de l'individualité est mal vue.
Or, la libre expression de l'authenticité, de l'émotion, de l'intuition et de la créativité fait ressortir les individus dans toutes leurs différences, parfois criantes et difficiles à regarder en face. L'épanouissement des talents individuels au sein de l'entreprise semble pour certain aller à l'encontre de l'intelligence et de la cohésion collective. L’épanouissement dans la facilité n’est pas dans l’imaginaire collectif : la performance, oui, mais il faut souffrir pour l'atteindre.
Aujourd'hui, cette vision du travail coûte cher : humainement, socialement, financièrement. Cette croyance coûteuse qui défie toute réalité sociologique, nous n'avons plus les moyens de nous la payer. Et c'est de ce constat qu'à commencé une prise de conscience partagée par beaucoup de dirigeants : et si l'accomplissement de chacun pouvait aller de pair avec la performance ? Et si l'authenticité, l'oser dire, le plaisir de faire, pouvaient aboutir à une réussite aussi étonnante qu’éclatante ?
Et si vous constatiez que redécouvrir votre équipe, pour renouer avec plus de performance et de cohésion, vous l'avez déjà fait...lors de la création de votre structure !
Se rappeler comment tout a commencé !
Rappelez-vous, au départ, votre organisation était une formidable aventure entrepreneuriale, pleine de challenge, d'opportunités, de sens. Imaginons l'exemple de Bill et Mark qui autour d'une bière dans un café, prennent soudain conscience que leurs idées pourraient changer le monde. Les grands groupes d'aujourd'hui sont tous nés de belles histoires.
Imaginez, Bill et Mark contemplent la pluie, à travers la vitre embuée d'un café, et leurs vies vient de changer. Ils ont décidé de devenir associé, et de prendre ensemble le chemin de cette aventure qui ne fait que commencer. Ils débordent d'idées, de questions : comment lever des fonds, quels autres associés trouver, comment s'y prendre ? Dans ce petit café, il y avait cette excitation, cet enthousiasme enfantin, ce plaisir d'avancer ensemble et de créer.
Quelques années plus tard, Bill et Mark découvrent le succès et la croissance. Ils emménagent dans de nouveaux locaux, s'associent avec d'autres personnes. Ce sens premier les anime toujours.
Vous étiez des entrepreneurs, et les choses ont pu changer
Mais un jour, pour la toute première fois, Mark n'ose pas remettre en question un de ses collaborateurs, Jean, car il est un ami de son père. Alice, leur nouvelle CFO, hypersensible, se trouve touchée par cette injustice qui vient briser l’égalité de traitement entre les personnes et donc, les valeurs, le fil rouge, la cohérence première de l'organisation.
Alors elle range dans un placard les nouvelles idées qu'elle voulait proposer, et qui n'auraient pas plu à Jean. Dans le placard se trouvent aussi les problématiques comptables qu'elle n'a plus l'énergie de regarder.
Avec les années, les places se cristallisent au sein de ce CODIR. Un jour, les fondateurs s'en vont, et progressivement, le sens et la joie de cette formidable motivation première, la magie de cette rencontre et la beauté de cette idée qui constituaient l'ADN de la société s'éloignent doucement dans la brume du temps. Les années passent, des décennies pour certains grands groupes d'aujourd'hui. Les connivences et les conflits en interne qui entament la créativité, font fuir les talents, et provoquent une baisse de la performance de l'entreprise.
Cette émulation première s'est transformée avec les années en une tour de verre ou un immeuble de bureaux aux abords d'une grande ville, où l'on rentre et sort avec son parapluie, où chacun s'adapte à l'état de fait du "monde professionnel d'aujourd'hui" qui n'a plus de sens ni de magie pour personne. L'organisation est devenue un individu massifié, remplaçable, gouverné par un jeu de Go politique qui s'enlise.
Et pourtant, pris à part, ces dirigeants sont toujours animés de cette motivation première, de ce désir de faire avancer la société. Les énergies sont là ! Pris à part, chacun voudrait redonner à l'organisation un souffle nouveau, mais ils renoncent, tous victime de ce sable mouvant dont ils ne savent comment se défaire.
L'énergie et la volonté sont toujours là, mais parfois, quelque chose s'est enlisé
Reprenons l’imagination et notre petite histoire de la société XYZ dont Bill et Mark étaient les fondateurs. Aujourd'hui, dans le CODIR, il règne comme cet état de fait, impossible à renverser. Tout un chacun connaît très bien les tensions relationnelles, les conflits, et toutes ces habitudes qui se sont structurées autour et qui entament l'intelligence collective. Mais il ne s'agirait surtout pas d'en parler !
Comme au sein de certaines familles, chacun a pris sa place, ses méthodes, son temps de parole, chacun joue son rôle, porte son masque qui le protège mais qui est parfois fatiguant, pesant. Il ne s'agirait pas de nous lever, pour refuser cette place que l'on nous assigne et qui ne nous convient plus !
Et si le rapport bénéfice / risque du statut quo n'était plus au rendez-vous
Aujourd'hui, les exigences du marché sanctionnent les équipes qui stagnent ou qui ont perdu leur élan créatif. En y regardant d’un peu plus loin, c’est surprenant comme nos stratégies de protections, de routine, peuvent être plus dangereuses que la nécessaire prise de risque. Et pourtant, en période de turbulence, le repli sur le connu, sur sa zone de confort est le premier réflexe.
Alors comment surmonter ce paradoxe ?
Que penseriez-vous de faire tomber ces routines, ces masques qui peuvent fatiguer? Dire simplement les choses, s’avouer les vrais enjeux, pour redevenir ensemble une équipe d'entrepreneurs motivés par les perspectives à venir et l’évolution de votre société.
Que diriez-vous d'oser le courage d'exprimer vos intuitions, oser la véritable implication, d'oser devenir authentiques, ensemble ?
Que diriez-vous de mettre un grand bol d'air frais dans vos relations, pour une intelligence collective qui permet de conjuguer réussite avec plaisir d'être ensemble ?
Voici quelques étapes, à prendre dans l'ordre et le désordre, pour votre inspiration.
1. Oser l'intimité professionnelle
Ce pourrait être sous forme d’un café informel, où en partant de ses ressentis, dans la bienveillance, chacun pourrait oser exprimer ce qui lui manque pour avancer, pour être pleinement lui-même, pour libérer tous ses potentiels.
En réalité oser dire, est extrêmement difficile. Comment dire que l'on ne croit pas, définitivement pas, aux objectifs de l'année ? Comment dire qu’on ne trouve pas sa place dans le projet ? Mais quel soulagement après ! Quelle authenticité retrouvée !
Au niveau individuel, au sein d'un CODIR, la peur d'avouer son malaise, son sentiment de décalage parfois, est légitime. Mais à partir du moment où des protections et des permissions sont établies, c’est possible.
De quoi s'agit-il ? Décider d'un commun accord que ce qui est dit ne pourra être reproché, accepter ensemble le risque que cela comporte. Poser des protections pour que ces nouvelles relations que vous décidez d'avoir ensemble restent respectueuses de chacun. A noter que parfois, pour sécuriser ce processus de transformation, il peut être stratégique que des personnes extérieures structurent et organisent cette étape. C'est là que l'on trouve l'importance du positionnement du dirigeant qui peut créer une alliance avec un coach, ce qui va initier, modéliser le mouvement de création de liens nouveaux.
Dans l'oser dire, toutes les nuances sont possibles, à vous de trouver la densité, la coloration de votre oser dire, en fonction du contexte unique qui est le vôtre.
Pour commencer, vous pourriez prévoir une réunion dans un cadre différent, et faire tomber les masques, pour rire des malentendus passés, dédramatiser vos différences si enrichissantes.
S'agirait-il là de team building ? De reboostage psychologique des temps modernes ? Non, il s'agit simplement de conscientiser le sens et la raison d'être d’une équipe. Les liens sont déjà là, aussi puissants que potentiels, il ne reste plus qu'à les nourrir à les découvrir.
Entre les membres de l'équipe, les liens humains sont déjà là, même s'ils se manifestent par le conflit. Les problèmes relationnels contiennent une énergie, une intelligence, qui ne demande qu'à être utilisée différemment.
2. Oser retrouver un esprit d'enfant, libre, créatif
Votre objectif revient à faire se rejoindre deux lignes parallèles. Impossible sur une feuille de papier, mais en utilisant la perspective et la troisième dimensions de l'espace et en pliant le papier, c'est un jeu d'enfant !
Cette troisième dimension, c'est la métaphore, l'intelligence collective, transversale, créative et intuitive, l'écoute des intuitions, que vous pourriez encourager au sein de votre CODIR. Oser parler de ses émotions, de ses intuitions, dans l'analyse d'un problème, cela ajoute des dimensions fondamentales pour sa résolution.
Plus vous ferez appel à des approches originales, créatives, plus l'émergence de solutions inattendues et redoutablement performantes auront de chances de se produire.
Exemples d’ateliers pour changer la dynamique d’une équipe :
- Dessiner la problématique, le fonctionnement d’une équipe sur un paper board, sans retenue ni intellectualisation. Dessiner active une autre forme d’intelligence, c’est souvent utile pour prendre de la hauteur sur une difficulté. Laisser l’inconscient représenter les liens entre les personnes quand on dessine une équipe : la répartition spatiale, la distance, les couleurs employées, la matérialisation de liens visibles ou non seront autant de sujets intéressants de débriefing et de prise de hauteur sur l’équipe et son fonctionnement.
- Tout simplement, changer de place autour de la table, répartir différemment les rôles et les temps de paroles, vous verrez comme cela bouscule les habitudes et permet la transformation.
- Construire ensemble, au sens propre, est souvent une activité qui remet du lien au sein de l’équipe. L’art de la construction d’un atelier de ce type réside dans l’originalité ludique de ce qui est proposé tout en mettant des contraintes suffisantes pour représenter un challenge pour l’équipe (construire une tour de 60 cm en 60s par exemple). Faire plusieurs essais en tirant les apprentissages et les challenges vers le haut est source de création de liens entre les personnes et de joie de réussir.
3. Oser s'impliquer réellement et redonner du sens
Au sein de cette équipe qui vient d'oser se dire les choses, d'oser l'intimité professionnelle, d'oser en venir aux vrais enjeux, l'atteinte des objectifs fait à nouveau sens : il ne s'agit plus de chiffres sur un papier, mais de tout un processus dont vous percevez à nouveau le sens.
Alors comme l’équipe qui avait monté ce projet, vous monterez ensemble en cordée en haut de la montagne.
Pour que la cordée fonctionne, le responsable marketing n'est pas responsable marketing uniquement. Il fait partie d’une équipe de direction, co-responsable du résultat. C’est l’implication de tous qui est la clef des réussites collectives. Nous sommes tous responsables du conflit qui ne nous concerne pas, tous responsables des ventes, du marketing, de la finance. Et la prise de conscience de cette responsabilité collective, si elle oblige à chacun le deuil d'une partie de son égo, peut être extrêmement sécurisante et stimulante.
S'impliquer, c'est souvent laisser un peu les besoins (plus de temps, plus de budget, plus de personnel) pour se focaliser sur le défi, l'exploit.
Il ne s'agit pas de dire que tout est possible. Accepter un principe de réalité et oser l’identifier ensemble peut être aussi très intéressant, car cela demande à chacun le deuil d'une certaine manière de se représenter les enjeux, et donc une transformation.
Oser se parler de ses différences
Dans sa personnalité et sa manière de voir le monde, il convient de prendre conscience que chacun est différent. Les hypersensibles, aspergers, hyperactifs, par exemple, ont des talents très particuliers qui dopent l'intelligence collective, à partir du moment où il se sentent suffisamment en sécurité pour s’exprimer et faire tomber le masque.
Nous avons tous des manières différentes de ressentir une remarque, une remise en question, d'aborder un projet, de gérer le temps. Or il n'existe pas de bonnes ou de mauvaises personnalités, seulement une meilleure intelligence d'équipe, si celle-ci sait prendre en compte les besoins et les talents de chacun.
Conclusion
En cette époque où l'on vous demande sans cesse de changer, comme si rien n'était jamais suffisant, l'objet de cet article est au contraire de proposer au équipes de directions de devenir encore plus elles-mêmes.
Après avoir clarifié l'intention et délimité un cadre de bienveillance, poser des mots tous ensemble sur les enjeux relationnels peut beaucoup apporter à l'intelligence collective. Vous pouvez briser cette coque de béton d'habitudes, de routines inconscientes, de non dits, de manque de courage parfois, qui emprisonne, pour redevenir les décideurs de votre avenir.
Co-auteurs de l'article :
Nathalie Lourdel
Coach professionnelle, spécialiste en intelligence relationnelle Directrice d'AUTREMEN, Directrice de l'école de coaching EAR
Matthieu Lassagne
Coach professionnel, spécialiste des profils surdoués et atypiques
Fondateur de Coaching & Douance
Nathalie Lourdel et Matthieu Lassagne ont combinés leurs expertises pour accompagner les CODIR en binômes.